Regardez-le notre Min Ji ! Pas plus épais qu’une crevette anorexique ! Il est bien beau notre Min Ji ! Vous êtes bien sûre qu’il est né dans le même quartier que nous ? Ce quartier où l’on doit se battre pour espérer rentrer entier à la maison… Oui, il est de ce quartier, il l’a dans la peau autant que nous tous… Mais alors pourquoi a-t-il ses yeux ?! Pourquoi a-t-il encore ses yeux ? Ce regard ne me trompera pas, il exprime de l’espoir, ce que nous tous avons perdu depuis bien longtemps… Alors comment est-ce possible avec lui ? J’ai beau l’observer, je ne comprends pas. Et la haine me hante de plus en plus. La jalousie me prend, cette jalousie qui ne semble ne jamais toucher Min Ji. C’est vrai qu’il est « pur », lui ! C’est ce que moi et tous les autres ne cessons de lui jeter à la figure, comme si c’était la pire insulte ici bas. Je ne comprends pas pourquoi lui et moi sommes si différents. On a pourtant les mêmes parcours, à quelques différences près… Sa mère est profondément perdue dans la drogue. Elle y laissera jusqu’à ses os dans pas longtemps, il n’y a pas de doutes. Tout ça, c’est la faute à son père, petit trafiquant minable qui tente de contaminer tout ce qu’il touche pour se faire plus de fric. Même moi j’y suis passer.

Mais Min Ji, je le vois bien, il se lève tous les matins pour prendre soin de sa mère et la rendre le plus présentable possible afin qu’elle puisse aller travailler dans un vieux bar miteux. Sa patience est infinie à notre petit Min Ji… Et pourtant, on voit la colère dans ses gestes, une colère sourde et contre le monde entier. Je sais bien, je le connais par cœur, petit Ji. Néanmoins, il a encore tellement de secrets pour moi que s’en ait effrayant ! Lorsqu’il quitte le quartier, soudain, un sourire illumine son visage… Oh oui, il a raison de fuir le plus possible cette prison. Il va toujours s’acheter des pommes. Il va certainement en faire une overdose un jour… C’est la seule chose qui se rapproche de la drogue pour lui ! Il ne touche à rien. « Pure ». Ce mot doit vraiment être inventé pour lui. Alors qu’on voit les hématomes sur ses bras lorsqu’il oublie de rebaisser ses manches. Comment tient-il debout ? Il est parfois squelettique, oubliant volontairement de manger juste pour se payer une nouvelle coloration de cheveux… Et le peu de graisse qui lui reste est maltraité par nous, les gars du quartier. Pas de pitié. Je ne suis pas l’exception à la règle. Peut-être que moi autant que les autres, il m’insupporte de rester aussi sage, aussi pur… Encore ce mot qui vient me hanter en pensant à lui.

Je sais que sa vision n’est faîte que nuance de gris. C’est à cause de moi. Un jour, je l’ai frappé un peu trop fort à la tête… et celle-ci à heurter le sol dans un bruit épouvantable. C’était tellement atroce que je me suis même excusé sur le coup. Chose impensable. Sa vision ne sera jamais comme avant, son cerveau ne capte plus les couleurs depuis des années… et pourtant son sourire est toujours là… comme sa patience… alors qu’au fond, sa colère ne cesse de grandir. Le soir, il hurle en silence . Il y a trop de miroir partout à son goût, il déteste ça. Il est fatigué, cela se voit dans ses gestes, dans sa voix… et peu à peu, ça atteint ses yeux. Je le vois.

Oh regardez-le notre Min Ji ! Il trébuche ! Il regarde dans ma direction. Il sait que je fais attention à lui… Mais il n’a pas encore compris que je n’étais pas de son côté… Depuis le temps, petit Ji… Il devrait savoir que je ne viendrais pas l’aider. Je sais moi, que dans quelques instants, il baissera les yeux et se relèvera tout seul, comme un grand, comme d’habitude. Il a une énergie insoupçonnée après tout. Jusqu’au jour où il ne se relèvera plus. Je sais aussi qu’il ira pleurer un peu plus loin lorsqu’il sera sûr que personne ne le verra. Et il tapera dans ce qu’il trouvera sous son poing. Comment peux-tu être aussi faible et fort à la fois ?

L’après-midi, il disparaîtra du quartier, comme d’habitude. Il sera bien arrangé et ses vêtements seront parfaits. Oui, il sera tellement parfait que personne ne penserait un seul instant qu’il vient d’ici, de cette prison. Il abordera un très joli sourire et dira « bonjour, merci, au revoir, bonne soirée » pendant plus de deux heures. Avant qu’on ne le jette à la porte parce qu’on a plus besoin de lui, qu’il n’est là que le temps que leur charmante serveuse modèle soit remise de sa maladie, car il fait tâche après tout dans ce monde. Oui, ce monde n’est pas le sien… tout comme il n’est pas le mien. Il fait sûrement peur aux clients, après tout ! Avec ce sourire si gentil, ses gestes si attentionnés et sa voix si douce ! Non, il y a juste à savoir qu’il est d’ici pour que les gens aient peur. C’est magique. Plus fort que la peste. Alors lorsqu’on a plus besoin de lui là, il rend son tablier et abandonne cette cravate et cette chemise trop serrées pour lui. Tout ça, ce n’est pas pour lui, il le sait. Il rêve de liberté malgré tout, notre petit Min Ji.


Mais hier, il m’a encore étonné, petit Ji ! Un violon, rien que ça ? Où le cachait-il ? Où l’a-t-il volé ? Non, il ne l’a certainement pas volé, pas lui. Il est bien trop sage pour ça. Voler, c’est un truc que moi je ferais, pas lui. Il est pur, petit Ji. J’avais entendu au détour du couloir des notes de piano un jour, lorsqu’on avait encore l’âge d’être traîné à l’école… C’était lui. Je ne sais quand il a eut le temps d’apprendre mais il était doué. Même moi pouvait le dire… Alors le voir avec un violon sur l’épaule ne m’étonnait qu’à moitié en réalité… Il a un don. Mais comment a-t-il réussi à me cacher cela si longtemps ? Je suis impressionné… bluffé… Lui qui n’a jamais été doué pour mentir avait réussi à me cacher quelque chose. Je devais m’incliner pour ce coup-là.

J’ai aussi découvert qu’il donnait des cours de musique, le petit Ji ! A des enfants ! Comme c’est adorable ! Il a toujours adoré les enfants, eux qui rêvent encore. Comme lui. Je me demande même s’il ne les aime pas un peu trop pour que ce soit moral… Non, évidemment que non, ce serait bientôt trop jouissant pour moi que petit Ji ait une telle faiblesse… A ce moment-là, je pourrais m’engouffrer dans la brèche et le détruire définitivement…

Hein, mon très cher frère jumeau ?